2 étoiles au Guide Michelin plus tard et à la tête du plus haut restaurant gastronomique, les Sulpice n’ont connu que l’hiver. Et telle une partition incomplète, l’idée de vouloir composer avec l’entière saisonnalité fait son chemin. Vœu exaucé. Quelques temps après, Magali et Jean se voient confier par Charlyne Bise, une maison centenaire, une référence culte : l’Auberge du Père Bise. D’un simple débit de boissons à véritable institution, de 1903 à nos jours; l’établissement comme déposé sur les eaux cristallines du Lac d’Annecy invite à l’émerveillement. En une volonté de ne jamais gommer le lègue et l’influence considérable des Bise, l’ère Sulpice débute. Avec leurs deux enfants, Paul et Sophie, un nouveau chapitre se dessine. Magali s’occupe de l’hôtel en apportant, avec justesse, modernité et simplicité. La maison s’inscrit alors comme une demeure incontournable auprès du guide Relais & Châteaux. De son côté, Jean construit sa nouvelle table gastronomique, puis, celle de son bistrot. Ensemble, ils font le pari de ramener l’Auberge à son niveau d’antan, l’accessibilité en plus grâce au Bistrot Le 1903 et à la Boutique du Père Bise. Au bout d’une année, l’Auberge du Père Bise reçoit 2 étoiles au Guide Michelin consécration d’un pari réussi, récompensant le travail et la persévérance. Dans le même temps, Jean Sulpice devient Chef Cuisinier de l’année pour le Gault&Millau.
Charlyne Bise cherchait une relève. On m’en a parlé et je ne voulais pas y aller. L’Auberge du Père Bise m’a toujours largement impressionné, de par son histoire, son vécu, les personnalités qui l’ont traversé. C’est une grande maison, lourde à gérer et pour ne trahir aucun secret, je ne me sentais pas capable de la gérer. Des jours plus tard, voyant le cycle se terminer à Val Thorens, on a su trouver les mots pour venir nous parler, nous mettre en confiance. Alors, avec Magali nous avons pris conscience du potentiel, de nos capacités, et on a plongé dans le Lac. Aujourd’hui, l’Auberge du Père Bise s’inscrit comme un lieu de vie existant pour donner du plaisir au plus grand nombre, sans complexe, sans artifice, en toute simplicité. Chaque jour, nous éprouvons un immense respect pour la famille Bise. D’un point de vue personnel, rien que le simple fait de voir le Gratin de Queues d’Écrevisses – créé en 1925 par Marguerite Bise – susciter autant d’intérêt et de gourmandise toutes générations confondues, m’émerveille.
Au gré des saisons, Jean Sulpice continue de nourrir une passion éternelle pour la nature. Pour elle, il faut être en tout temps, attentif, sensible à ses humeurs, ses mouvements, ses murmures. L’écouter pour mieux l’honorer en la traduisant dans l’assiette. Une quête infinie du goût, de l’émotion et bien sûr, du partage.
On ne devient pas Chef tout seul, lorsque l’on veut pousser sa cuisine le plus loin possible, nous ne sommes rien sans personne. L’on se rend rapidement compte qu’il est un privilège et un honneur de compter sur ses producteurs, fournisseurs et brigades. Ce sont eux qui portent l’excellence au plus haut niveau, et pour ça, je ne peux que les remercier d’être présents au quotidien. Au fond, je vis chaque jour comme une nouvelle ascension et chaque mont est différent du précédent; en grimpant l’on découvre une nouvelle végétation, on rencontre un animal, puis, au sommet on profite du cadre, un tableau de vie jamais semblable. On se retourne et l’on apprécie le chemin parcouru, on se souvient d’où l’on vient. Même si, sur les immensités rocheuses les vents soufflent davantage, cela nous fait garder en mémoire qu’il y a toujours un risque de chuter. En 1995, j’ai vu mon frère, alors sportif de haut niveau, perdre l’usage de ses jambes. Sur le point de devenir champion du monde, ses espoirs se sont, en un instant, évanouis. Une leçon, amère; que je garde en évidence.
La place du sport, de la compétition, du challenge sont des éléments essentiels dans la vie du Chef; et il n’a aucun mal à les associer à la gastronomie. Jean est un boulimique de la vie et son large appétit de curiosité, il tente de le rassasier en pédalant à vive allure; poursuivant les saisons, s’assurant de n’avoir rien manqué. Il sait qu’aucune saisonnalité ne se ressemble.
Je n’ai toujours pas l’impression de travailler. Je fais ce métier qui continue de me surprendre, de m’éblouir. Il n’y a rien de plus beau, à mon sens, de pouvoir être un passeur d’émotions. Surprendre, procurer du bonheur par un plat est un sentiment indéfinissable de joie; et ce, en préservant l’authenticité, la simplicité. En ce sens, ma passion est constante, et jamais elle ne fléchit, même lorsque le monde s’immobilise. Aujourd’hui, je dois beaucoup – voir tout – à ma famille, Magali, mes enfants. Ils me caractérisent autant que ceux qui me permettent de vivre pleinement, je pense bien sûr aux pêcheurs, producteurs, éleveurs; à ma très chère « Team Sulpice ». Grâce à eux, je peux rester cet enfant incapable de s’assoir derrière un bureau, toujours en mouvement, guidé par les forêts et les montagnes, émerveillé par la nature et ses saisons; ce même enfant, continuant de fabriquer sa cabane dans les bois.